La truffade et petit détour par chez Margaridou
Hier soir, je savais que mon homme allait rentrer fourbu du boulot, après une semaine à se lever bien plus tôt que moi et à arpenter les routes d’Auvergne en tous sens. Il ne restait plus qu’une chose à faire : dégainer l’arme fatale, le seul remède vraiment efficace contre toute baisse de régime : une bonne Truffade !
Pour les non-initiés, les malheureux, la Truffade est à
l’Auvergne ce que la Tartiflette est à la Haute-Savoie : le plat du pauvre
qui fait presque regretter de ne pas l’être tant que cela pour avoir à en
manger tous les jours.
D’ailleurs beaucoup confondent Tartiflette et Truffade,
après un bref, toujours trop bref, séjour dans notre région. On crie alors au
scandale, à l’hérésie : c’est le jour et la nuit entre le reblochon et la
tomme fraîche de Cantal ! Allons !
Rien que pour la Truffade, je me réjouis du temps qui se
rafraîchit ! Je salive à grosses gouttes, j’ai des bouffées de chaleur à
la seule évocation de ce nom.
Je vais donc vous présenter ma version de ce grand
classique de la « gastronomie » auvergnate, modifiée et éprouvée au
fil des années. Autant dire tout de suite qu’il y a autant de façons de faire
la Truffade que de cuisinières en Auvergne, et que toutes trouveront à redire
sur ma recette. Il y en a pour lesquelles les lardons sont indispensables, pour
d’autres les oignons, d’autres encore trouveront superflus la crème, l’ail et
le thym, d’autres enfin préfèreront une pomme de terre qui s’écrase.
Le seul avis que j’ai voulu prendre en compte, c’est celui
de Margaridou, cette paysanne du Cantal dont la vie et les recettes ont été
réécrites par Suzanne Robaglia en 1935. Ce livre Margaridou, journal et
recettes d’une cuisinière au Pays d’Auvergne est une véritable bible pour
qui s’intéresse aux coutumes et traditions culinaires auvergnates. Ce n’est pas
qu’une simple compilation de recettes mais la vie d’une femme qui se met au
service d’un médecin de campagne vers Saint Flour et ses impressions au fil des
saisons.
C’est à la fois drôle, instructif et émouvant. C’est bien
sûr Suzanne Robaglia qui écrit mais on sent la simplicité de Margaridou à
chaque phrase.
J’aime plonger et replonger dans cet ouvrage que les frères
Troigros eux-mêmes ont parcouru avec attention et dont ils se sont inspirés
parfois… Sur l’origine de la tomme fraîche, avant de donner sa recette de la
Truffade, Margaridou écrit :
« On n’a pas idée, en bas, dans la vallée, de ce qui peut se passer là-haut entre herbe
et ciel, les amitiés, les rivalités, les haines, les vengeances ! (…)
Parce que là-haut, le délire vous attrape quelquefois comme
au désert, ça n’a l’air de rien, ces vieux monts d’Auvergne ; c’est pas si
haut que les Alpes, mais quand ça vous tient un homme, des fois, c’est traître
pour le cœur.
Ceux qui mangent la fourme ne savent pas quelle vie ont les
montagners, ces heureux mortels, qui villégiaturent pour rien dans les plus
beaux paysages où ils sont seuls tout l’été.
Ceux qui mangent le fromage ne savent pas qu’il est l’œuvre
de solitaires perdus dans la gentiane et l’airelle, d’hommes qui ont eu le
courage de tout quitter pour suivre leurs vaches et faire le fromage dans le
dû.
Parfois aux heures chaudes, les petits pâtres font la
sieste, nichés sous un rocher ou sous un buisson. Ils rêvent de la vache qui
les fait courir, et dans leur sommeil appellent : « Ardaille,
Ardaille ! Gente, Gente ! ».
Et lorque la voix du vacher s’élève, la voix de l’homme
robuste qui connaît les secrets du caillé et peut à volonté enrichir ou ruiner
son patron, serrer la presse ou donner des taloches, tel un farfadet, le petit
pâtre se réveille et baille.
La grosse fourme du Cantal, si matérielle, si épaisse, a
été entourée, dés sa naissance, de chants, de poésie, et même elle a été, à sa
façon baptisée, car sur la gerle, en revenant de la traite, avant de mettre la
présure, le vacher a fait sur le lait, un grand signe de croix. »
En bonus, voici sa version de la truffade.
Quant à ma version, si elle vous intéresse, la voici. Comme
elle, j’utilise le gras des lardons : du saindoux, mais j’aime donner une
saveur plus forte à ma truffade en lui ajoutant de l’ail et du thym. Et puis,
je préfère avoir de vrais morceaux de pommes de terre qui se tiennent. Chacun
ses goûts !
(grand maximum !)
1 kg de pommes de terre
(à gratin, frites…)
40 g de saindoux
1 ou 2 gousses d’ail
du thym
300 g de tomme fraîche
10 cl de crème liquide
Epluchez et lavez vos pommes de terre.
Détaillez-les en petits morceaux.
Dans une poêle, sauteuse, ou wok, faites fondre
le saindoux et mettez vos pommes de terre à cuire dedans en démarrant sur feu
vif.
Epluchez la gousse d’ail si elle est grosse ou
les gousses si elles sont petites. Hachez-la menue ou presser-la sur les pommes
de terre. Assaisonnez copieusement et saupoudrez de thym. Tournez un peu les
pommes de terre. Après 10 minutes, baissez un peu le feu et couvrez 10 minutes.
Remuez de temps en temps. Découvrez et vérifiez la cuisson des pommes de terre.
Remontez le feu pour terminer la coloration pendant que vous coupez le fromage
en dés. Versez-le sur les pommes de terre bien chaudes, ajoutez la crème et
mélangez jusqu’à ce que le fromage soit bien fondu.
Deux ou trois feuilles de salade,
une tranche de jambon cru et c’est le paradis !