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La Table de Clémence
7 novembre 2008

La Cucina, Lily Prior

Ce matin, j’étais bien partie pour préparer à l’avance quelques petits billets doux à vous poster au fil de ce long week-end qui s’annonce. Et puis, tout à basculer subitement… Je me suis laissée aller à la langueur douce et sereine des moments solitaires qui me sont offerts ces temps-ci.

Ma théière bien remplie, un jus d’orange fraîchement pressé et quelques madeleines joufflues trônant sur ma table de nuit, je me suis mise à dévorer le livre que j’avais commencé hier oubliant mes devoirs et mes recettes…

Quelques 150 pages plus tard, me revoilà, prête à mordre dans la journée et à vous confier cette petite pépite de gourmandise si vous ne l’avez pas vous même déjà découverte.

cuisine_216Je suis tombée dessus la semaine dernière, en farfouillant dans les rayons des Volcans , LA librairie clermontoise, bien décidée à trouver des livres à la fois bien écrits et respirant la bonne chère, pour partager avec vous au milieu des recettes qui excitent les sens, des pages qui titillent l’imagination…

Je ne savais pas trop où cela allait me mener mais le premier essai est déjà très concluant.

La Cucina de Lily Prior, paru en Livre de Poche, ruisselle de gourmandise et d’odeurs. Rosa, véritable Botero ambulant, vit en Sicile dans une famille attachée à la terre, empreinte de Mafia et tirant parfois vers Freaks. Sa façon de s’échapper de tout : cuisiner, jusqu’à plus soif… Tous les chapitres sont imprégnés de cuisine sicilienne, avec les légumes en abondance, les viandes bien grasses, les saveurs et les odeurs.

Mais c’est aussi et surtout le côté infiniment sensuel et drôle de Rosa mis à jour peu à peu qui vous retient dans ce monde d’abondance. La trame en elle-même est très bien menée mais je préfère que vous la découvriez par vous-même !

Quant à moi, je crois que je vais chercher d’autres ouvrages de cette Lily, partagée entre Londres et l’Italie.

En cadeau, je vous livre ici un extrait de La Cucina, trouvé sur le site des éditions Grasset.

Régalez-vous !

 

 
 

 Chapitre un    

 

Dépose un tas de farine sur la table, la vieille table de   chêne qui nous vient de Nonna Calzino, patinée par des années d’usage   quotidien. Il en faut juste assez, ni trop, ni trop peu. De la fine farine de   blé dur du moulin de Papa Grazzi à Mascali. Ajoute une bonne pincée de sel.   Fais un puits et casses-y des œufs entiers extra-frais, plus quelques jaunes,   puis incorpore un filet d’huile d’olive premier choix et quelques cuillerées   d’eau froide.
  Ensuite, du bout des doigts, mélange les liquides à la farine, jusqu’à ce que   tu obtiennes une pâte souple. Si les œufs la rendent un peu collante, c’est   normal. Continue à la fraiser en la faisant rouler sous la paume des mains.
  Il faut que les bras fatiguent et qu’une petite rigole de sueur naisse entre   les omoplates et descende vers le sillon entre les fesses. Cela vaut pour   l’hiver, bien entendu. En été, la sueur ruisselle sur le visage et le cou et   tombe goutte à goutte sur la table et le dallage en imprégnant les vêtements.  
  Quand la pâte est élastique, huile-la au pinceau, recouvre-la d’un linge   humide et laisse-la reposer. Elle en a tout autant besoin que toi. Cela te   laisse le temps de feuilleter un magazine et de te tenir au courant de la   dernière mode, ou d’observer par la fenêtre la jeune Maria en train de   flirter avec le postier au coin de la rue, un peu plus bas, Fredo qui passe à   bicyclette ou les chiens errants qui tentent d’échapper à l’employé de la   fourrière. La vie qui va sous tes yeux.
  C’est le moment de commencer à étaler la pâte. Saupoudre la table de farine   et divise le pâton en huit sections égales. Une à une, aplatis-les avec le   rouleau à pâtisserie, en exerçant une pression vers l’avant, de manière à   obtenir une forme rectangulaire. Procède ainsi jusqu’à ce que chaque section   de pâte forme une longue bande de l’épaisseur de la lame d’un couteau. Le   couteau qui a tranché la gorge de Bartolomeo. Qui est entré dans cette chair   jeune et tendre comme un coltello dans du lard.
  Coupe la bande en deux dans le sens de la largeur et fais-la sécher cinq   minutes sur une perche. Répète l’opération avec le reste de pâte de manière à   obtenir seize bandes. Découpe chacune d’entre elles dans le sens de la   longueur en formant des rubans aussi minces que possible. Et voilà, tes   spaghetti sont prêts à être cuisinés. Préparés avec une délicieuse sauce à   base de tomates mûres, de jeunes aubergines, de basilic et de ricotta, tu vas   pouvoir les manger à la colazione, au moment où les employés de   bureau, les acrobates et les hommes des abattoirs rentrent chez eux faire la   sieste et où, pendant une brève période, l’agitation cesse et la ville   s’endort.
 
   
  Après le meurtre de Bartolomeo, je fis des pâtes nuit et jour. Certaines se   retirent au couvent, comme Pasquala Tredici lorsqu’elle perdit son amoureux,   Roberto, encorné par un taureau. Moi, je me retirai dans la cuisine.
  J’avais toujours eu l’amour de la nourriture et elle fut mon seul réconfort   en cette période noire. L’exil que je m’infligeai dans la cucina fut   long. Je cuisinai sans relâche pour noyer mon chagrin.
  A l’époque, je vivais encore avec ma famille dans notre ferme de la vallée de   l’Alcantara, au pied de la citadelle de Castiglione, à l’est de la Sicile,   non loin des pentes du célèbre volcan de l’île.
  La vallée de l’Alcantara est célèbre pour sa terre fertile. Elle donne des   olives plus succulentes, des oranges plus juteuses, des porcs plus goûteux   que nulle part ailleurs et cette abondance du sol se retrouve chez les   habitants qui, dans l’ensemble, sont sains, robustes et vigoureux.
  La virilité des hommes et la fécondité des femmes sont remarquables. Les familles   sont généralement nombreuses ; un même instinct de reproduction puissant   anime les hommes et les bêtes.
  Phénomène curieux, les naissances multiples sont aussi fréquentes chez les   femmes de l’Alcantara que chez les truies. Nous donnons naissance à des   jumeaux, des triplés, des quadruplés même et l’école locale est remplie de   petits visages identiques. Nous avons tellement l’habitude de voir en double   et en triple les ouvriers agricoles, les ménagères et les chevriers que   personne n’y prête plus attention, sauf les étrangers. Mais rares sont les   étrangers qui s’aventurent jusqu’à nous.
  On dit que ce sont les braises du mont qui nous surplombe qui échauffent   ainsi le sang des habitants de notre luxuriante vallée. Sa magie se transmet   aux êtres qui vivent dans son ombre, là où durant des millions d’années, il a   éjaculé sa propre force vitale et répandu sur ses versants la fertile couche   noire de sa lave.

 
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Commentaires
T
Extrait plus culinaire mais poignant, avec autant de puissance, de résistance qu'il y a d'abandon dans l'autre extrait...
C
On comprend que ce livre ait eu priorité sur tout le reste. Quelle gourmandise !
C
merci de nous livrer ces quelques pages en apéritif<br /> <br /> <br /> et pour ceux et celles qui voudraient participer au Muffin monday # 11, c'est ICI : <br /> http://cuisineplurielle.canalblog.com/archives/2008/10/13/10922067.html<br />
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